Yared Itamar | [Fini !]

Jehiel et Elah Itamar formaient un couple heureux, et c'était tout ce que l'on pouvait leur souhaiter. L'arrivée d'un fils dans la famille n'avait été que l'accomplissement logique d'une vie rangée et bien tracée. Vie que le dit fils avait tôt fait de détester. Là où les pères des autres enfants représentaient pour eux des héros en manque de cape, Jehiel n'était pour Yared qu'un personnage creux et ennuyeux. Un suiveur, qui votait pour la tête des sondages, pensait ce qui était politiquement correct, laissait la vie couler sous lui. A quoi bon exister si l'on ne faisait que se fondre dans la masse ? Cette aversion avait atteint son paroxysme le jour où les autorités locales avaient calmement pris la décision de détruire leur joli immeuble où tous leurs souvenirs s'étaient construits, sans protestation des Itamar, qui s'étaient contentés de regarder leurs voisins protester en silence. Le jeune Yared en avait été excessivement indigné, pleuré, crié, dans l'indifférence totale. Et cela avait marqué pour lui un exemple frappant de ce que deviennent les gens qui attendent que le monde décide pour eux.

Depuis, on disait que son truc à Yared, c'était de faire des histoires, comme s'il voulait vivre un milliard de vies à la fois, comme s'il avait peur que le temps file sans lui. Il avait vécu la plus grande partie de sa vie à cent à l'heure, sans pauses, sans prendre le temps de respirer. Bien sûr, cela avait engendré bien plus d'erreurs que raisonnable. Et malheureusement, si elles l'avaient fait trébuché, il ne s'était jamais arreté pour y réfléchir et apprendre, préférant se remettre aussitôt à courir sans regarder en arrière. Les exemples les plus notoires de ces erreurs de parcours incluaient ce bad trip, qui lui avait montré les portes de la mort et donné envie de recommencé, ce tatouage, qui lisait un très mature « Fuck off » dans une écriture tremblante et qu'un lui adolescent et saoul avait dû trouver inspiré, et cette soirée et cette fille, qui auraient dû n'avoir de la place dans son esprit que pour quelques heures et qui s'y sont installé pour neuf longs mois. Aujourd'hui encore, il s'en voulait parfois. Et parfois, il essayait de justifier, comme il l'avait fait à l'époque : il n'avait que 17 ans. Et il n'aurait rien pu faire pour les soutenir. Et ça n'avait jamais été sa responsabilité. Et ça avait été son choix de ne pas avorter. Et elle ne devrait donc rien attendre de lui. La réflexion avait été horrible mais avait presque fonctionné, lui permettant de continuer sa course contre le temps avec pour seul remord le poids du fantôme d'un nom qu'il ne dirait jamais.

Puis un jour, il s'est stoppé net. Il avait fini de courir après les problèmes, on ne savait trop par quelle magie. Un an plus tard, il fêtait ses 25 ans et son mariage. Ils s'étaient rencontrés simplement, autour d'un briquet partagé, juste avant qu'elle n'appelle la police pour tapage nocturne chez ses voisins où il célébrait les vacances. Et il l'avait aimée, trop fort, trop vite, trop inhabituellement pour qu'il puisse prendre le risque qu'elle lui échappe. Six mois plus tard, il se retrouvait à travailler dans la police et père d'un garçon qu'il pouvait tenir dans ses bras. Cette partie là, Yared avait du mal à l'expliquer. Lui qui mettait un tel point d'honneur à ne pas sombrer dans une sédentarité lascive avait formé un foyer qui s'en rapprochait plus qu'un peu. Il se lançait fréquemment dans de longues tirades sur comment il voulait Vivre avec un grand v et comment il allait changer le monde, reçues par le bienveillant rire cristallin de sa femme qui promettait ensuite toujours qu'ils vivraient une centaines d'aventures et participeraient à un milliard de manifestations et de révolutions dès que leur petit serait assez grand. Et même s'il se sentait parfois si mal, si étouffé qu'il était tenté de tout envoyer en l'air encore une fois et de repartir en courant, l'amour était une force assez étrange pour le garder calme. Jamais, jamais il n'aurait fuit de lui même si tôt. Pourtant c'est sûrement ce que tout le monde pensait qu'il était arrivé le jour de ses 26 ans, où il était sorti pour aller récupérer du courrier et n'était plus revenu. Beaucoup avait dû secouer tristement la tête en murmurant des "j'étais sûr que ça allait arriver un jour", inconscients de la grande pièce dans laquelle Yared était retenu enfermé.

Quand le monstre apparut, son premier réflexe fut de reculer en tendant la main vers l'arme qu'il portait habituellement à sa ceinture, seulement pour réaliser qu'il était démuni. En désespoir de cause, il ne put que lever les bras dans le stupide espoir de protéger ses yeux, ce qui eut pour effet étonnant de colorer la créature d'un rouge vif. Assez étonnant pour lui faire écarquiller les yeux. Pas assez pour arrêter la course de la bête. Et certainement pas assez pour empécher sa nette défaite.

Quand on demande à Yared quel est son pouvoir, il se contente souvent d'un "putain d'inutile" grommelé et d'un haussement d'épaules. Techniquement parlant, le pouvoir de Yared lui donne la faculté de changer à volonté la couleur de toute matière visible, tant qu'il peut visualiser la couleur ou le motif désiré et que la matière visée se situe dans son champs de vision. Et effectivement, il n'y a pour l'instant trouvé aucune utilité directe. Il ne peut agir ni sur la forme des objets ni sur leur taille, et le peu de fois où il l'a invoqué ne permettent pas de dire quelles sont exactement ses limites au cours du temps, le changement ayant jusqu'ici été inversé à chaque occasion par Yared, jusqu'à 30 minutes après son activation. Il a cependant noté que la couler peut persister hors de sa vue.
Ses tests mensuels sont ainsi toujours très courts et s'il est plutôt agacé par l'obligation qu'il a d'y aller, il en ressort au moins toujours avec une envie de se lancer dans la création d'une chaîne de salons de bronzage pour tirer un minimum profit de sa situation.